Neurophysiologie au cabinet, Chapitre 1/2 :Retour aux sources

La douleur de Descartes à la Neuromatrice

Histoire, modèles et perspectives

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Ce premier chapitre expose les différents modèles actuels de compréhension et de prise en charge de la douleur, et les replace dans un contexte historique d’apparition des différentes théories et découvertes scientifiques.

  1. UN PEU D’HISTOIRE D’ABORD

L’histoire de la douleur a évolué avec celle de l’humanité depuis la préhistoire.  Il y a un véritable intérêt anthropologique de l’étude de l’histoire de la douleur afin de comprendre la relation que nous entretenons avec celle-ci, et comment nous réagissons aujourd’hui face à la douleur en fonction de nos attitudes, nos croyances, nos comportements, notre trame sociale et culturelle (Le Breton 1995).

Ceci étant, afin de cibler la compréhension des théories et modèles actuels, nous débutons le rappel historique au 17°siècle, car ceux-ci (modèle biomédical et modèle biopsychosocial) se sont construits essentiellement, à partir de cette période de changement de paradigme.

La main mise de la religion sur la science disparait, entre autre, grâce à Réné Descartes (1596-1650). Dans son « Discours de la méthode « , le « Je pense donc Je suis » pose la dualité corps-esprit. Il permet de dire à l’église, occupez vous de l’esprit et nous scientifiques, nous nous occuperons du corps : cela permis de rattraper les siècles de retard en terme de recherche scientifique.

La mode en neuroscience est de lui jeter l’anathème, à tord, en disant que par cette vision dualiste il est à l’origine du modèle de causalité linaire blessure = douleur.

En fait Descartes n’était probablement pas si dualiste que cela, dans son « Traité de l’Homme », il s’essaye à la démonstration de l’interelation entre le corps et l’âme par l’intermédiaire des « esprits animaux » :

« Ces hommes seront composés, comme nous, d’une Âme et d’un Corps. Et il faut que je vous décrive, premièrement, le corps à part, puis après l’âme aussi à part; et enfin, que je vous montre comment ces deux natures doivent être jointes et unies, pour composer des hommes qui nous ressemblent.»

Au cours de  sa démontration sa vision de la douleur pose l’hypothèse d’un système sensoriel de la douleur en situant la convergence des informations dans la glande pinéale.

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Comme, par exemple, si le feu A se trouve proche du pied B, les petites parties de ce feu, qui se meuvent comme vous savez très promptement, ont la force de mouvoir avec soi l’endroit de la peau de ce pied qu’elles touchent; et par ce moyen tirant le petit filet, c, c, que vous voyez y être attaché, elles ouvrent au même instant l’entrée du pore e, contre lequel ce petit filet se termine : ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde, on fait sonner en même temps la cloche qui pend à l’autre bout.Or, l’entrée du pore ou petit conduit d, e, étant ainsi ouverte, les esprits animaux de la concavité F entrent dedans, et sont portés par lui, partie dans les muscles qui servent à retirer ce pied de ce feu, partie dans ceux qui servent à tourner les yeux et la tête pour le regarder, et partie en ceux qui servent à avancer les mains et à plier tout le corps pour le défendre.

De ce schéma les penseurs neuroscientifiques ont attribué la paternité à Descartes, de la  vision dualiste mécaniste, qui présente l’ébauche d’un système d’alarme dans lequel la clochette (située dans le cerveau), une fois qu’elle est activée, enclenche une réaction de défense.

Ce modèle, qui sépare le système sensoriel somatique des fonctions corticales supérieures, est effectivement à la base de la théorie de la spécificité, et influence encore les soignants aujourd’hui qui suivent le modèle biomédical de la douleur (la douleur est due à une cause).

Spinoza (1632-1677), cartésien de formation, avait compris donc cette relation corps-esprit et dans son livre l' »Ethique », il propose l’immanentisme qui désigne une relation entre trois attributs indissociables : le corps, l’esprit et le monde, qui font partie d’une seule et même substance, s’exprimant de façon différente.

Les recherches expérimentales en neuroscience donnent aujourd’hui  raison à ce cadre de pensée rationnel cartésien (relation corps-esprit) pimpé par Spinoza (relation corps-esprit-monde). Ces recherches ont, entre autre, permis de fournir à ce jour des modèles de compréhension de la douleur satisfaisants (théorie de la neuromatrice, modèle Biopsychosocial, Enaction).

2. L’ÉVOLUTION DES THÉORIES ACTUELLES

(Perl 2007 ; Moayedi et Davis 2013)

Dans la suite de la logique de Descartes, Von Frey (1895) propose plus tard, la théorie de la spécificité.

Elle suggère qu’il y a des récepteurs périphériques spécifiques à chaque sensation : toucher, froid, chaud, et douleur.

Quand les « récepteurs à la douleur » sont stimulés, ils envoient l’information au cerveau, dans des centres spécifiques, qui produit toujours la sensation de douleur et uniquement de la douleur.

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Traduit de Perl 2007 : Chaque modalité (toucher et la douleur) est codée dans des voies séparées. Les stimulations du toucher et de la douleur sont codées par des organes sensoriels spécialisés. Les impulsions pour chaque modalité sont transmise le long des voies distinctes, qui touchent et se projettent respectivement dans des centres de la douleur dans le cerveau.

Cette théorie ne prend pas en compte :

  • les variations d’intensité de la douleur,
  • les processus de modulation de la douleur,
  • les changements de perception (le froid douloureux).

Elle ne permet pas d’expliquer non plus les douleurs fantômes, ou encore le phénomène d’allodynie (simple toucher provoquant de la douleur), ou encore l’hyperpathie (douleur continuant après avoir retiré le stimulus nociceptif). (Sluka et al 2009)

Encore une fois, c’est une théorie qui reste encore ancrée chez beaucoup de patients et de praticiens qui continuent de suivre l’équation douleur = dommage tissulaire (redécrite par Sherrington en 1906).

La théorie « disparue » de l’Intensité

C’est une théorie qui a été proposée plusieurs fois au cours du temps (Platon, Darwin). B. Naunyn expérimente en 1854, sur des patients syphilitiques, ayant une atteinte du cordon postérieur de la moelle, des répétitions de faible toucher sous le seuil de perception. Il constate que la sommation de ces stimulations redéclenchent des douleurs.

Erb en 1874, suggère que la douleur survient dans un système sensoriel lorsque l’intensité suffisante a été atteinte, plutôt qu’une modalité de stimulation spécifique.

Par la suite  Goldschneider élabore le modèle neurophysiologique de sommation, dans lequel il n’y a pas des voies distinctes pour les stimuli à faible et à haut seuil.

Le nombre d’impulsions dans les neurones détermine l’intensité d’un stimulus.

Les neurones afférents primaires synapsent sur un second neurone à large champ dynamique (Wide Dynamic Range neurone) dans la corne dorsale de la moelle épinière.

A ce niveau , les faibles niveaux d’activité codent pour des stimuli inoffensifs, et des niveaux plus élevés d’activité codent les stimuli nocifs.

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Traduit de Perl 2007

Cette théorie rivalise celle de Von Frey, mais fut balayée par les travaux de Sherrington sur les nocicepteurs (1906), faisant perdurer la théorie de la spécificité. Elle apporte tout de même la notion de sommation spatiale et temporelle du stimulus.

La théorie du motif  (Pattern Theory)

Parallèlement, plusieurs découvertes successives sur le réseau des récepteurs et fibres nerveuses sous cutanés (Blix et Goldschneider 1884, Nafe 1929, Lele et al 1954) permettent d’élaborer progressivement la théorie du Pattern.

La théorie propose que toute sensation somesthésique (dont la douleur), est produite par un motif spécifique et particulier de mise à feu de neurones.

Le profil de la sommation spatiale et temporelle  de ces déclenchements, encode le type de stimulus et son intensité.

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Traduit de Perl 2007 : Les organes des sens somatiques ont une vaste gamme de réactivité aux intensités et types de stimulation. Le mode et le lieu de la stimulation créer un  motif composite d’activité dans la population des fibres provenant d’une région particulière du corps. Ce motif de décharge neuronale est transmis au système nerveux centrale qui code la nature et le lieu de la stimulation.

La théorie du motif, prend en compte, les sommations temporelle et spatiale, un relai dans la moëlle et des projections centrales non spécifiques.

Ceci étant elle n’aborde pas les modulations (inhibition/facilitation).

La théorie du portillon (ou Gate Control theory)

En 1965 Melzack et Wall proposent une théorie qui révolutionna la recherche sur la douleur. Ils combinent les concepts de la théorie de la spécificité et de la théorie du pattern.

Ce modèle prend en compte aussi bien les composantes physiologiques et psychologiques de la douleur.

La théorie suggère qu’il y a des terminaisons nerveuses spécialisées, les nocicepteurs (Fibre C et Aδ), dont la réponse est modulée dans la corne dorsale.

Par un mécanisme pré-synaptique, les interneurones de la substance gélatineuse (SG) régulent l’accès des informations d’entrées issues de la périphérie, vers les neurones à convergence situés plus profond à l’intérieur de la corne dorsale de la moelle (T= « trigger cells » ou cellules gâchettes ).

Les fibres myélinisées à large diamètre (Fibres Aα et Aβ) augmentent l’activité de ces interneurones et ferment le portillon.

Les petites fibres (C et Aδ) diminuent le tonus inhibiteur et permettent l’ouverture du portillon, facilitant ainsi l’envahissement des neurones à convergence, et des structures supra-spinales. Ces mécanismes étant soumis au contrôle supra-spinal.

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Melzack et Wall 1965

Après plusieurs années de recherches Wall  (1978) affine la théorie dans laquelle il y ajoutera la facilitation et l’inhibition descendante :

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Wall 1978

Malgré de nombreuses critiques, depuis les 40 dernières années, cette théorie a généré une quantité de recherche importante, faisant progresser nos connaissances dans le domaine de la douleur de façon phénoménale.

C’est grâce au Gate Control que l’on a compris que la douleur n’était pas le fait d’un système unidirectionnel spécifique de la périphérie vers le centre, mais bien le fait du Système Nerveux Central. Elle nous a fait prendre conscience que la douleur était multidimensionnelle, et que les traitements ne devaient pas seulement se concentrer sur le Système Nerveux Périphérique, mais devaient aussi moduler le SNC.

La porte vers la neuromatrice (Melzack 1999)

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A la fin des années 1980, Melzack ne pouvait pas expliquer les douleurs fantômes avec toutes les théories précédentes.  Comment se faisait il que des personnes amputées puissent ressentir des douleurs bien réelles sur le membre qui n’existait plus ?

Les entrées sensorielles n’existant plus sur un membre amputé, Melzack suppose que la douleur est générée par l’activité nerveuse d’un réseau mettant en lien plusieurs structures cérébrales (figure ci dessous).

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Neuromatrice, Melzack 1999
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La neuromatrice mise à jour, Melzack 2001

Ces zones cérébrales sont dépendantes :

  • de toutes les entrées sensorielles sensori-discriminatives (cutanées, viscérales, vestibulaires, visuelles…);
  • de composantes cognitives et  évaluatives (apprentissage, mémoire, expériences passées, attentes, …)
  • de composantes motivationelles et affectives (tronc cérébral, thalamus, système limbique)

Après un processus complexe et en fonction de ces informations, différents programmes d’action se mettent en place :

  • La perception de la douleur (avec toutes ces composantes sensori-discriminative, cognitive, affective et motivationelle..);
  • Des programmes de régulation du stress (axe hyptohalamo-hypophysaire : sécrétions de cortisol, cytokines, endorphines..);
  • D’autres programmes volontaires et involontaires qui nous font répondre aux différentes informations d’entrée.

Depuis, des outils comme l’IRM fonctionnelle, ont permis de mettre en évidence quelles étaient ces zones d’activations cérébrales qui s’allument lors d’une expérience douloureuse : l’insula, le cortex cingulaire antérieur, la substance grise périaqueducale, le cortex préfrontal médian et l’aire motrice supplémentaire.

Ces schémas d’activations cérébrales prennent le nom de « neurosignature », terme repris par Lorimer Moseley en « neurotag ».

Ci-dessous un exemple de neurosignature d’activation chez des grands brûlés à qui on fait un soin de la peau qui redéclenche la douleur, on peut observer les aires cérébrales qui s’allument :

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Hoffman et al 2004

L’équipe de Hoffman et al 2004, a expérimenté chez ces patients pendant les soins, la réalité virtuelle. Ceux-ci, jouent à un jeu appelé Snowland, monde imaginaire dans la neige, dans lequel ils doivent évoluer. Pendant ce temps les soins sont effectués.

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Soin durant lequel le patient joue a un jeu de réalité virtuel  

On peut constater que la neurosignature s’allume différemment (moins importante), et les patients décrivent une intensité de la douleur fortement  diminuée :

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Hoffman et al 2004

Pour reprendre l’exemple des douleurs fantômes, sans stimulus sensoriel du membre amputé, un conflit entre la rétroaction visuelle et les représentations proprioceptives de ce membre pourrait entrainer une confusion dans la neuromatrice qui serait génératrice de douleur.

Ramachandran confirme en 1996 la validité de ce modèle en créant la thérapie du miroir, dans le cas des douleurs fantômes. En utilisant un miroir qui créer l’illusion visuelle de son membre amputé, la douleur peut diminuer significativement.

Résumé des théories (schémas ci dessous): 

Le modèle du portillon  et de la neuromatrice mettent fin aux schémas bi-directionnels  (action-réaction) des théories précédentes. Ce modèle circulaire multidirectionnel permet de comprendre l’interaction des différents composants de l’expérience douloureuse. Cette théorie s’inscrit dans le modèle bio-psycho-social de la douleur qui considère les facteurs psychologiques et sociaux en interrelation avec les mécanismes neurophysiologiques impliqués : nociception, croyances, émotions, environnement culturel et social influencent l’expérience douloureuse qui elle-même affecte notre comportement, nos émotions et cela tourne en boucle.

3. DEFINITION ACTUELLE ET LES MODELES DE PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR

Définition de l’International Association for the Study of Pain

« La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles ou décrites comme telles »

Même si elle n’est pas parfaite, cette définition est très complète. On comprend bien dans cette définition que :

  • La douleur n’a pas besoin d’être associé à une atteinte des tissus observables, le danger peut être réel ou potentiel ;
  • La douleur est multidimensionnelle, ce n’est pas qu’une sensation mais bien une expérience désagréable avec toutes les dimensions  possibles (décrites dans la neuromatrice)  : sensorielles, affectives, cognitives.

Le modèle biomédical de prise en charge de la douleur

Ce modèle suppose que toute douleur a une cause physiologique et que tout clinicien devrait être capable de trouver et traiter le problème physiologique.

Dans certains cas ce modèle est approprié. Par exemple quand vous avez mal à la gorge, le médecin diagnostique la cause de ce mal de gorge : provient il d’une simple inflammation? l’origine est elle bactérienne, virale ? Et dans chacune des situations, la cause est traitée, si l’origine est bactérienne, des antibiotiques seront prescrits.

Dans le cas d’un traumatisme avec une fracture par exemple, la gestion médicale du problème apportera des solutions à la douleur le temps de la guérison.

Ce modèle biomédical est donc nécessaire quand on cherche la cause d’une maladie.

Lorsqu’il n’y a pas de lésion (pathologique ou traumatique), que la douleur soit aigüe ou chronique, le modèle biomédical de prise en charge de la douleur est inadapté.

Le modèle Bio-Psycho-Social ou BPS

Ce modèle est une approche complémentaire et alternative au modèle biomédical. Il est particulièrement plus adapté à la douleur chronique, ainsi qu’à la douleur aigüe (quand il n’y a pas de contexte pathologique).

Plusieurs personnes ont participé à l’élaboration de ce modèle et l’ont décrit de différentes façons (Engel, Loeser, Turk, Butler).  Le schéma le plus utilisé pour représenter les différents aspects de l’expérience douloureuse est celui de Loeser 1982 (schéma ci-dessous).

  • La nociception est le premier composant qui alerte de l’état d’un probable danger tissulaire (nocicepteurs et voies nociceptives);
  • Le deuxième composant est la douleur qui correspond au processus d’intégration des centres supérieurs et qui transforme l’information nociceptive en message conscient (expérience sensorielle et émotionnelle désagréable). C’est uniquement à partir de ce moment que les aspects psychosociaux de la douleur entrent en jeu (et pas avant);
  • La composante de souffrance dans le modèle de Loeser, correspond à l’état émotionnel de détresse qui peuvent être provoquer par  la douleur : peur, anxiété, dépression;
  • La composante comportement est décrite par Loeser comme toutes les manifestations extérieures de la personnes qui souffre accompagnant son expérience douloureuse. Ces comportements sont influencés par les expériences passées, les croyances, l’environnement culturel et social.

Le modèle de Turk et al 1999, est intéressant, il change la composante « souffrance » en « évaluation de l’expérience douloureuse ». Quelle importance le patient accorde t-il à sa douleur et du coup quels comportements par rapport à la douleur va-il adopter? Le patient surmonte il le problème, ou catastrophise-t-il le problème? Va-t-il utiliser des comportements de peur-évitement? S’arrête il de travailler ou d’aller faire du sport, de sortir? Ou bien  continue-t-il ses activités?

David Butler a repris les travaux de Engel 1977 et fait une comparaison très habile entre le modèle biomédical (BM) et le modèle Bio-Psycho-Social (BPS) :

  • Le modèle BM implique la recherche d’une cause, le modèle BPS reconnaît plusieurs causes impliquées (biologique, psychologique, sociologique);
  • Le modèle BM se concentre sur les processus biologiques de la douleur, le modèle BPS se concentre sur la douleur et ses conséquences;
  • Le modèle BM préconise des traitements passifs (le patient est dépendant du traitement), le modèle BPS préconise une gestion active et une autogestion;
  • Le modèle BM perçoit l’activité physique comme nocive, le modèle BPS considère l’activité physique comme moins nocive et l’utilise sous forme de mise en exposition progressive;
  • Dans le modèle BM, la recherche se concentre sur des niveaux moléculaires, cellulaires, génétiques et accorde peu d’importance aux neurosciences. Dans le modèle BPS la recherche se concentre au niveau psychosocial avec une contribution importante des neurosciences.

4- PERSPECTIVES

Avec les avancées des 15 dernières années dans la compréhension des mécanismes neurophysiologiques impliqués dans la douleur, de nombreuses options thérapeutiques cohérentes avec ces nouveaux modèles voient le jour : la thérapie du miroir, l’imagerie motrice graduée, la mise en exposition progressive, l’approche par les processus, l’autoperception corporelle, la thérapie comportementale et cognitive, les techniques neurodynamiques, l’éducation aux neurosciences, la thérapie cognitive et fonctionnelle, l’entretien motivationnel, sont autant d’outils avec lesquels peuvent jouer les thérapeutes manuels pour gérer la douleur de leurs patients.

Au delà de ces outils, il y a aussi le démarche de prise en charge en thérapie manuelle. Le modèle de prise en charge le plus avancé de la dernière décennie, et qui est en adéquation avec la neuromatrice et le modèle BPS,  est celui de l’Organisme Mature développé par Louis Gifford (schéma ci dessous). Il est dans la pure lignée holistique de la pensée Spinoziste. La douleur est considérée comme une sortie résultant d’un processus complexe qui permet de répondre biologiquement à une menace potentielle des tissus et/ou de l’environnement.

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Gifford 1998, The mature organism model

Ce modèle sert encore aujourd’hui de base à de nouveaux modèles émergents qui prennent en compte les processus neurophysiologiques impliqués, notamment le modèle de O’Shaughnessy et Jones :

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ou encore le parapluie Bio-Psycho-Social de Greg Lehman de remise en charge d’un segment douloureux :

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Le champ des possibles est infini à partir du moment où l’on cherche à mettre en application la compréhension neurophysiologique des processus impliqués chez le patient et qu’on lui permet d’en prendre conscience.

La démarche ne consiste plus à trouver chez le patient des « failles » (voir chapitre 5), mais de trouver avec lui quelles sont ses forces et comment il peut les utiliser pour redevenir autonome.

Les chapitres suivants seront dédiés à la présentation et l’explication des processus neurophysiologiques de la douleur : nociception, modulation, sensibilisation périphérique, centrale….

A bientôt

Laurent

Voici un chapitre optionnel pour ceux qui ont encore un peu de temps et qui sont prêts à changer de paradigme….

NB: les références sont au dessous du chapitre 5.

Continuer à lire … « Neurophysiologie au cabinet, Chapitre 1/2 :Retour aux sources »

Ce qu’il faut savoir sur les tendinopathies en 9 points

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Ce texte est traduit avec la permission du Pr Peter Malliaras, PhD.

Le lien de l’article original est disponible ici.

 

Il y a encore beaucoup d’inconnu sur les tendinopathies, et pourtant il y a des preuves scientifiques indiscutables que tous les cliniciens et tous les patients doivent connaitre. (Celles-ci sont disponibles dans les références à la fin du blog)

 

 1.  Le repos n’est pas bénéfique à la guérison de la tendinopathie.

La douleur peut se calmer, mais la reprise de l’activité est souvent douloureuse. Le fait de se reposer ne permet pas au tendon d’améliorer sa tolérance à la contrainte mécanique.

 

2. La tendinopathie n’est pas considérée comme une réaction inflammatoire classique même si il y a quelques cellules et molécules biochimiques inflammatoires impliquées.

Les anti-inflammatoires peuvent vous aider en cas de douleur très importante, mais leur effet n’est pas prouvé sur les cellules impliquées dans le processus pathologique.

3. Plusieurs facteurs de risque sont favorables à l’apparition d’une tendinopathie.

Le facteur principal est la sur-utilisation du tendon, ou simplement l’excès de certaines activités , incluant  :

  1. celles qui demandent au tendon d’emmagasiner de l’énergie (càd. marcher, courir, sauter);
  2. et celles qui exercent des contraintes de compression sur le tendon.

Certaines personnes sont plus exposées aux douleurs tendineuses à cause de facteurs prédisposants : biomécaniques (ex : faible capacité ou faible endurance musculaire, etc.), ou systémiques (ex : âge, ménopause, hypercholestérolémie, sensibilisation centrale etc.). Ces personnes peuvent déclencher une douleur au moindre changement d’activité.

4. La recherche montre que  le traitement le plus efficace  de la tendinopathie reste l’exercice.

 

Les tendons ont besoin d’être mis en charge progressivement afin d’améliorer leur tolérance aux contraintes mécaniques de la vie quotidienne.

Sans ce stimulus vital de remise en charge, il est très peu probable que la tendinopathie s’améliore.

5. Afin de diminuer la douleur tendineuse, il est important de modifier la mise en charge.

Il faut souvent, ou au moins temporairement, diminuer les contraintes qui demandent de l’emmagazinement d’énergie et de la compression.

6.La douleur n’est PAS synonyme de dommages tissulaires constatés à l’imagerie.

Les dommages tissulaires  sont fréquents chez des individus assymptomatiques. Ce n’est pas parce que l’on vous a diagnostiqué une « pathologie tissulaire sévère » à l’imagerie, ou même une « déchirure », que votre pronostic de guérison est moins bon.

D’autant plus que l’on sait aujourdhui que même avec les meilleures intentions du monde et les traitements les plus sophistiqués (exercices, infiltrations, etc.), la plupart du temps le tissu pathologique ne se modifie pas. Donc même si l’étude de l’aspect tissulaire est nécessaire, la majorité des traitements ne se focalisent pas sur la réparation tissulaire, mais sur l’amélioration de la douleur et de la fonction.

7. Les  traitements passifs seuls effectués sur le long terme n’améliorent que très rarement les tendinopathies :  le massage, les ultrasons, les infiltrations, les ondes de choc, etc…

L’exercice est souvent l’ingrédient essentiel là où les traitements passifs ne sont que les additifs. Il faut éviter les infiltrations multiples car elles ont de moins bon résultats.

8. L’exercice doit être individualisé et adapté à la plainte douloureuse et fonctionnelle du patient.

La mise en charge doit être progressive et adaptée à la réponse douloureuse, afin d’atteindre les objectifs de restauration fonctionnelle.

9. Les tendinopathies répondent très lentement aux exercices.

Vous devez être patient, vous assurez d’effectuer correctement et progressivement l’exercice approprié, ne succomber pas à la tentation des « raccourcis » de traitements, comme les infiltrations ou la chirurgie. La plupart du temps il n’y a pas de raccourcis.

 

Les précédents points sont des principes généraux, et dans certaines situations, les adjuvants comme l’infiltration ou la chirurgie sont appropriés dans la prise en charge de la tendinopathie.

 

REFERENCES

Abate M, Gravare-Silbernagel K, Siljeholm C, et al.: Pathogenesis of tendinopathies: inflammation or degeneration? Arthritis Research and Therapy. 2009, 11:235.

Cook J, Purdam C: Is compressive load a factor in the development of tendinopathy? British Journal of Sports Medicine. 2012, 46:163-168.

Littlewood C, Malliaras P, Bateman M, et al.: The central nervous system–An additional consideration in ‘rotator cuff tendinopathy’and a potential basis for understanding response to loaded therapeutic exercise. Manual therapy. 2013.

Malliaras P, Barton CJ, Reeves ND, Langberg H: Achilles and Patellar Tendinopathy Loading Programmes. Sports Medicine. 2013:1-20.

L’auto-perception corporelle de vos patients peut vous aider à mieux prendre en charge leurs douleurs

Gestion de la douleur CFPCOLes patients lombalgiques peuvent souvent témoigner d’une perception de bassin décalé ou d’asymétrie pelvienne.

La thérapie manuelle a donc porté une attention particulière à la position des articulations de la ceinture pelvienne (sacro-iliaque, symphyse pubienne et facettes lombo-sacrées) dans l’approche des lombalgies et douleurs pelviennes.

La recherche s’est aussi beaucoup portée sur les douleurs des articulations lombo-pelviennes (articulations zygapohysaires postérieure, sacro-iliaques, et symphyse pubienne), sur la méthode diagnostique , ainsi que sur le bien fondé de la correction biomécanique de celles-ci dans l’approche des douleurs lombaires et pelviennes.

Récemment Darren Beales a écrit un post très interessant sur l’hypothèse plausible des patients ressentant cette asymétrie pelvienne disponible sur pain-ed.com et bodyinmind.org.

Le but de ce post est  de présenter certaines données exposées dans son hypothèse et d’y apporter d’autres réflexions et informations complémentaires sur le modèle positionnel du bassin dans la prise en charge des douleurs lombo-pelviennes.

Sources nociceptives des douleurs pelviennes et lombaires

Concernant l’implication de l’articulation sacro-iliaque* dans l’approche des douleurs lombaires, il a été démontré par des études immuno-histochimique la présence de structures nociceptives intra-articulaires pouvant être à l’origine de la nociception (Szdadek et al 2010). Une revue de littérature semble confirmer que l’articulation sacro-iliaque semble impliquée dans les douleurs lombaires (Hancock et al 2008).

La validité diagnostic des tests de cette articulation dans l’approche des douleurs pelviennes a été aussi bien étudiée.

Après avoir dénigré l’importance des tests sacro-iliaques dans l’approche diagnostique (Lasslet 2008), son équipe a proposé un cluster (groupement) de 5 tests qui montrent une certaine précision diagnostique quand à la probable source nociceptive de cette articulation (Benett et Laslett 2009).

Probable source de douleur, car effectivement, une autre équipe (Palsson et Graeven-Nielsen 2012) a montré que les structures extra-articulaires possèdent des nocicepteurs. Et que ce ceux-ci sont capables d’induire une douleur référée et une hyperalgésie régionale :

  • sensibles aux mêmes tests manuels de provocation de douleur de l’articulation sacro-iliaque;
  • semblables à ceux trouvés chez les patients présentant des douleurs de la ceinture pelvienne;

Donc les tests de reproduction de douleur sacro-iliaque ne sont pas pathognomoniques d’un dysfonctionnement intra-articulaire.

Bien fondé d’un blocage biomécanique positionnel de l’articulation sacro-iliaque*

Toutes les études (Seffinger et al 2004; Stockendahl et al 2006; Triano et al 2013 ) s’interressant à la reproductibilité des tests palpatoires utilisés en thérapie manuelle, incluant les tests positionnels de l’articulation sacro-iliaque, montrent que ces tests ne sont pas fiables (inter et intra-examinateur). C’est à dire que non seulement deux praticiens n’auront pas le même diagnostic positionel sur un même patient, mais aussi, en aveugle, un praticien n’aura pas le même diagnostic positionnel sur le même patient.

Concernant le mode d’évaluation de l’articulation sacro-iliaque (ASI) par les ostéopathes, Rajendran et Gallagher 2011 ont fait une étude clinique sur l’évaluation des points de repères du bassin en utilisant la palpation selon le modèle biomécanique de Mitchell, pour évaluer l’ASI (20 praticiens testent 2 sujets avec la position des répères osseux). Ils concluent qu’aucune des procédures palpatoires effectuées ne sont fiables (Fleiss kappa<0.4).

D’autre part concernant les corrections positionnelles de l’articulation sacro-iliaque, l’étude de Tullberg et al 1998 (cité par D.Beales) montre qu’il n’y a pas différence de position de l’articulation sacroiliaque entre avant et après la manipulation : on ne change donc pas la position d’une articulation avec une manipulation.

Asymétrie pelvienne et douleur pelvienne ou lombaire

Dans une revue** E. Lederman présente plusieurs études effectuées chez des patients asymptomatiques, qui montrent qu’il n’y a pas d’association entre les états lombalgiques et :

  • l’asymétrie/obliquité pelvienne;
  • l’angle latéral du promontoire sacré;
  • ou encore l’inégalité de hauteur des crêtes iliaques.

Devant tous ces éléments, qui mettent en avant :

  • Le manque de fiabilité diagnostic des tests palpatoires positionnels;
  • La non-spécificité nociceptive de cette articulation ;
  • Le blocage articulaire de cette articulation n’existe pas ;
  • L’asymétrie de cette articulation n’est pas impliquée dans les douleur lombaires ni pelvienne.

Il semblerait prudent d’arrêter les propos alarmistes de bassin « décalé, bloqué ou asymétrique ».  Il n’existe aucune preuve que la « mauvaise posture » puisse provoquer ces douleurs.

A l’inverse, il y a beaucoup de preuves qui montrent que tenir de tels propos, laisse  croire aux patients que leur corps est fragile et augmente leur douleur :

Plusieurs études montrent non seulement que ces croyances négatives créent de la peur du mouvement, des attitudes de dépendance de traitements passifs, et surtout elles ont tendance à faire passer ces douleurs à la chronicité (Kendall et al 1998, Lee et al 2015, Werti et al 2014, Ramond-Roquin et al. 2015).

Pourtant les patients lombalgiques témoignent bien d’une sensation d’assymétrie de leur bassin.

C’est à cette perception modifiée ressentie par les patients qu’essaye de répondre D. Beales à travers un article qu’il a écrit cette année, et d’autres références que nous exposons ci-dessous.

Neuroplasticité et le « floutage cortical »

Le cerveau cartographie le corps humain (somatotopie ou homonculus). Depuis une quizaine d’années, cette cartographie s’évalue par des outils comme l’IRM fonctionnel ou la Stimulation Magnétique Transcrânienne.

Ces outils nous ont permis de mesurer la taille et l’activité des cartes corticales et on s’est rendu compte que celles ci étaient vivantes, modifiables et plastiques (Pascual Leone et al 2005).

C’est ainsi que l’on a mis en évidence  la neuroplasticité du cerveau. Elle  se définit par la capacité de changement morphologique ou fonctionnelle dans les propriétés neuronales (Calford 2002 ; Sanes 2000).

On a découvert aussi que la douleur modifiait ces cartes, non seulement par l’imagerie (Flor 1998) mais aussi cliniquement (altération de la perception et/ou du contrôle moteur).

Voici quelques résultats de travaux mettant en évidence ces phénomènes biologiques :

Moseley et al 2003 ont montré que les patients lombalgiques chroniques présentaient des pertes de sensations corporelles. Ils ont distribué un dessin qui montre la face postérieure du dos, mais uniquement avec la partie supérieure et inférieure de l’image dessinée. Les instructions de dessin étaient les suivantes :

  • En se  concentrant  sur leur dos uniquement mentalement, de compléter le dessin en suivant le contour de leur propre dos;
  • Puis de se concentrer sur où ils sentent que leur dos se situe ;
  • Dessiner les vertèbres qu’il peuvent ressentir.

Il était précisé de dessiner :

  • Sans toucher leur dos, le  dessin devrait se rapporter au ressenti du dos uniquement.
  • Ne pas dessiner une partie qu’il ne peuvent pas sentir.
  • Ne pas dessinez à quoi pourrait ressembler votre dos – dessiner uniquement ce que l’on ressent.

Voici le résultat  des dessins (figure 1):

  • On remarque que les vertèbres sont déplacées du coté de la douleur;
  • Que les patients n’arrivent pas à dessiner le coté douloureux;
  • Que la partie douloureuse a une perte de discrimination (mesurée à l’aide d’un pied à coulisse TDP  : distance discriminative entre 2 points )

Moseley GL

Figure 1 : Moseley GL. I can’t find it. Pain 2008;140: 239–243

Plus récemment Schabrun et al 2015 (Figure 2), ont montré que le flouttage des cartes corticales sur le cortex moteur (concernant les muscles paravertébraux) était corrélé avec l’intensité de la douleur lombaire. Sur la figue ci-dessous, à l’étage vertébral  L3 (étage où la mesure est le plus facile),  la représentation corticale du groupe contrôle sans douleur (Visual Analog Scale 0) a une zone précise d’activation. Alors que plus les groupes ont des intensités de douleur élevées (VAS 3 ou VAS 8), plus la zone d’activation devient plus étalée et floue.

Figure 2

Figure 2 : Schabrun et al. Smudging of the Motor Cortex Is Related to the Severity of Low Back Pain 2015 Spine.

Cette découverte est en corrélation avec les études sur le contrôle moteur des muscles paravertébraux lombaires, qui montrent chez les patients lombalgiques, une perte du contrôle moteur (Hodges et Moseley 2003).

Enfin, chez une population de lombalgiques, les patients présentant une perte de discrimination du cortex S1 présentent une perte du contrôle moteur au même endroit (Luomajoki et Moseley 2011).

Dans cette optique Wand et al 2014 ont dévellopé un questionnaire, le FreBAQ, qui semble être un moyen psychométrique pour l’évaluation de l’altération de l’auto-perception du dos chez les personnes souffrant de lombalgie chronique.

Ils ont démontré que le niveau d’altération de l’auto-perception est positivement corrélée avec l’intensité de la douleur et de l’invalidité (Wand et al 2016).

Ils ont aussi montré qu’il existe une corrélation entre le niveau d’altération de perception et : la détresse psychologique, la catastrophisation de la douleur, les comportements d’évitement-appréhension et le seuil de la douleur à la  pression des épineuses lombaires.

Beales et al 2016 ont utilisé ce questionnaire chez des femmes post-partum en comparant celles qui avaient des des douleurs lombo-pelviennes (initialement développées pendant ou peu après la grossesse) avec un groupe contrôle asymptomatique. Ils ont montré que les sujets ayant des niveaux plus élevés d’incapacité liée à la douleur lombo-pelvienne chronique avaient des niveaux plus élevés de perception altérée du corps évaluée avec le queFreBAQ. Ils ont aussi constaté une certaine corrélation entre la perception du corps altéré et la kinésiophobie.

Beales suggère qu’il faut plus de recherche pour approfondir les relations identifiées dans son étude car ils n’ont pas demandé si ces patientes « ressentaient une  déviation » de leur bassin.

Ceci étant, et malgré la nécessité de recherche supplémentaire D. Beales conclue à juste titre qu’il y a assez de preuves et d’indications pour que les cliniciens considèrent l’altération de perception comme un facteur contribuant à la douleur invalidante lombo-pelvienne chronique.

Dans cette optique l’utilisation de certains outils cliniques et thérapeutiques permettraient de fournir des informations utiles aux cliniciens sur la façon dont les patients perçoivent leur corps :

  • le pied à coulisse (test la discrimination entre 2 points), le FreBAQ;
  • l’utilisation de feedback corporel comme le « scan corporel » , le miroir, la perception du corps en mouvement;
  • l’analyse du contrôle moteur.

Cette façon d’aborder la problématique de la douleur serait un outil de gestion probablement plus efficace que le modèle biomécanique de « replacement »  ou « déblocage », qui est faux et délétère.

*L’articulation Sacro-iliaque est prise comme support mais il en va de même pour les facettes articulaires lombaires qui ont été investiguées et qui ont donné des résultats comparables.

** Son article, que je conseille vraiment à tous ceux qui se déclarent  «ostéopathes biomécaniciens » se targuant d’être « scientifique », reprend d’ailleurs tous les mythes et croyances du modèle postural-structurel-biomécanique, en y répondant de manière critique, soutenue par beaucoup de recherche.

Références :

Continuer à lire … « L’auto-perception corporelle de vos patients peut vous aider à mieux prendre en charge leurs douleurs »

Petit manuel pratique pour intégrer les neurosciences à la prise en charge de la douleur au cabinet

 

VISUEL DOULEUR

 

 

Les 10 Trucs pratiques pour appréhender la douleur avec  les neurosciences

Ce texte est traduit avec la permission de Ben Cormack expert en gestion de la douleur.

La traduction reste fidèle au texte, mais n’est pas littérale, car j’y ai ajouté en italique quelques idées et références supplémentaires pour renforcer les propos de ce post. Le texte brut intégral en anglais est disponible sur son BLOG.

Les connaissances sur les neurosciences de la douleur se développent rapidement par le biais d’articles et/ou blogs destinés à tout le monde :  thérapeutes manuels, coach sportifs, médecins ou chirurgiens.

On pourrait exiger que tout thérapeute manuel doit avoir une compréhension de base sur le fonctionnement de la douleur.

Les opinions sur les neurosciences sont tranchées  : soit nous n’en connaissons pas assez, soit nous sommes tombés dans l’excès inverse.

Nous devons d’abord penser à comment appliquer ces découvertes académiques dans la vie pratique du cabinet : autant l’assimilation de toutes ces informations est importante pour nous, mais il est capital de mettre le patient au coeur du débat et de l’aider à intégrer cette avalanche de nouvelles informations scientifiques.

  1. Les neurosciences nous aident à comprendre ce qu’il NE FAUT PAS DIRE,  et non  CE QU’IL FAUT DIRE.

En intégrant les neurosciences, nous serons en mesure de comprendre,  à quel point nos mots peuvent affecter les patients sur la perception qu’ils ont d’eux même et de leur condition physique.

Trop souvent, par facilité et habitude, nous pouvons encore utiliser des mots qui fragilisent, plutôt que des mots qui rassurent.

Par exemple, vous pouvez éviter un effet nocebo, en restant à l’écart de certains termes (liste non exhaustive)  :

conneries

  • déchirure,
  • fissure,
  • instabilité ,
  • endommagé,
  • arthrose,
  • déplacé,
  • Lésion
  • Dysfonction
  • Blocage
  • hernie discale,  déséquilibre, courbure, posture, asymétrie…

Ces mots ont le pouvoir de perturber la perception et la croyance des patients dans leur capacité de récupération et d’autoguérison.

Le concept d’« idées virales » est une bonne image à propos des croyances négatives qui se répandent parmi les gens : elles se comportent comme des virus, elles se multiplient et se transmettent, mutent et créent des maladies. Ne participer pas à la contamination !!

Ce sont des termes inutiles au traitement, car ils ne sont pas corrélés à la douleur : ils n’en sont ni la cause, ni les facteurs prédictifs d’apparition de douleur*.

 Ils font surtout peur et de nombreux travaux montrent qu’ils fragilisent le patient, augmentent sa douleur et favorisent le passage à la chronicité : ce sont les drapeaux jaunes du modèle Bio-Psycho-Social*. (Kendall et al 1998Lee et al 2015Werti et al 2014Ramond-Roquin et al. 2015)

silence bulshit

Que dire alors ?

Il n’y a pas de recette miracle, cela demande de la pratique et surtout cela dépend de la personne que l’on a en face de soi.

Commencer par  CE QU’IL NE FAUT PAS DIRE est un bon début.

  1. Se former sur le sujet régulièrement (principe du long life learning)

L’une critique des processus éducatifs actuels en thérapie manuelle (physio, ostéo, chiro..) est que, ni dans la formation initiale, ni dans les cours spécifiques de traumatologie, ne sont abordés les mécanismes sous-jacents de l’expérience de la douleur.

Regarder des vidéos de vulgarisation ou lire des blogs  utilisant des concepts de neurosciences, est certainement le strict minimum si l’on veut s’informer. Cela doit être étayé ensuite, par des bases solides sur le fonctionnement de la douleur.

Il ne suffit pas de quelques mots en vogue ou des analogies pour faire passer le message à l’auditoire, surtout quand il a l’habitude de poser des questions pièges.

A ce propos certains ouvrages sont incontournables (Explain Pain, Graded Motor Imagery…), mais les publications scientifiques sur le sujets sont pléthores et utiles pour les anglophones (e.g Nijs et al 2011Puentedura et al 2012…).

Certains webinars sont disponibles (avec un abonnement) sur des sites comme http://www.paincloud.com. 

Certaines questions de base doivent être bien maitrisées :

  • Qu’est ce que la douleur ?
  • Comment fonctionne la nociception ?
  • Qu’est ce que la sensibilisation centrale ?
  • Qu’est ce que la sensibilisation périphérique ?
  • Quels sont les mécanismes supra–spinaux impliqués dans l’expérience douloureuse ?
  • Que sont la facilitation et l’inhibition descendante ?
  • Pourquoi le stress, le contexte, et les émotions peuvent avoir une influence sur l’expérience douloureuse ?
  • Comment reconnaître en clinique les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans les différents types de douleur? 
  • Quelles sont les caractéristiques d’une douleur nociceptive, neuropathique, ou d’origine centrale ?
  • Qu’est ce qu’un neurotag, la neuromatrice ?

Des formations auprès d’experts (en France ou à l’étranger : NOI group, Cor-Kinetic, Know Pain….) peuvent aussi vous aider à construire progressivement votre bagage.

Un elearning d’une dizaine d’heure de cours est aussi disponible ici en Français

  1. L’explication d’un sujet aussi complexe que la douleur demande de la pratique

difficile facile

«Expliquer la douleur» comme un expert peut nous mettre sous pression.

Avant tout, il faut connaître les principes fondamentaux de neurophysiologie, mais ensuite il faut apprendre à les articuler, et cela ne se fait pas en une nuit.

« Si tu n’arrives pas à expliquer les choses simplement, c’est que tu n’en sais pas assez » A. Einstein

De nombreuses études (Louw et al 2011) ont mis en évidence  que l’ « enseignement des neurosciences » aux patients, avait un impact sur l’amélioration de la qualité de vie des douleurs chroniques, et de nombreux autres effets positifs (incapacité, catastrophisation, santé mentale, maintient de l’inhibition descendante…).

Ceci étant, une explication complexe délivrée de façon nébuleuse, risque de créer chez le patient du doute et de la confusion dans la compréhension de sa problématique. Et au lieu de diminuer son expérience douloureuse, cela risquera d’envenimer la situation.

Avant de bien le faire avec les patients, entrainez-vous plusieurs fois, en dehors du contexte du cabinet.  Affrontez vos amis et vos collègues, pour prendre confiance et forger vos compétences communicationnelles.

Après tout, même les meilleurs enseignants s’entrainent !!

  1. Les analogies et les métaphores

toblerone Giffords

Plusieurs études ont démontré que l’utilisation de ces figures de styles, que nous utilisons dans la vie de tous les jours pour communiquer, sont efficaces pour expliquer la douleur.

Ceci étant elles dépendent de la culture et l’éducation de chacun. Donc si une analogie ne parle pas à un patient, trouvez-en une autre.

Pour cela construisez vos métaphores et analogies, avec vos expériences personnelles.  Vous pouvez aussi aller piocher sur les blogs, vidéos, ou alors dans certains livres (Painfull Yarns, Moseley L.)

  1. Remettez en cause le concept, et surtout pas vos patients

La meilleure façon de ruiner une relation praticien-patient, c’est de faire comprendre au patient qu’il n’a rien compris et qu’il est stupide.

C’est ce qui risque de se passer si vous remettez en cause ce qu’il croit penser. Certaines croyances sont comme de la superglue et si vous y ajouter de la confrontation, cela fait un mélange explosif qui détruira l’alliance thérapeutique.

Remettez en cause le concept, n’hésitez pas à vous excusez vous pour toutes les croyances que nos professions leur ont fait avaler depuis des décennies (médecins, chirurgiens, radiologues, kiné, ostéos, chiros, podologues…). Expliquez leur, qu’à notre décharge,  cela ne fait que 15 ans que nous avons fait un bond en terme de neurosciences  sur la douleur.

Si cela n’accroche pas, car leurs croyances sont trop ancrées, arrêtez tout, passez à autre chose, vous y reviendrez plus tard avec un autre exemple.

  1. Demandez à votre patient ce qu’il a compris de ce que vous lui avez dit

« Comment expliqueriez vous à vos amis et à votre famille ce que je viens de vous dire ? » Kieran O’Sullivan

C’est très important de s’assurer que l’information véhiculée soit bien perçue.

Tout malentendu doit être dissipé (espérons-le) avant qu’il ne se transforme en « idée virale » du type « on m’a dit que la douleur était dans ma tête ».

 Pour cela il peut être utile d’utiliser certains workbook (Greg Lehman) ou sites (http://www.retrainpain.org/francais). Demander au patient de le lire d’en faire le résumer et de le reporter à sa situation. Félicitez-le du travail de résumé, et apportez quelques informations complémentaires si nécessaire. Puis remettez ces informations dans le contexte du patient afin que cela donne du sens à sa problématique.

  1. Aucune recette ni protocole – Tout repose sur le patient

Ce qui marche avec une personne ne fonctionnera pas forcément avec une autre.

Certaines stratégies dans le domaine de la psychologie ont mis en avant la mise en exposition progressive.

 Pour cela les formations à l’entretien motivationnel permettent de guider le patient vers des buts qu’il fixe lui même en fonction de ses craintes et ses attentes. La thérapie cognitive et fonctionnelle (CFT) utilise ces méthodes et la combine à la thérapie manuelle.

  1. Le changement de paradigme n’est pas une science exacte et demande du temps

Comme déjà expliqué au point n°5, les croyances sont des ancrages profonds chez le patient, entretenues depuis longtemps par l’environnement social (famille, amis, collègues, thérapeutes, Dr Google…).

C’est rare qu’un patient sorte de votre consultation en ayant changé son point de vue sur sa situation et sur ses croyances.

Cela peut être un processus long et laborieux, et de temps en temps il sera plus simple pour certains patients de ne se reposer que sur vos traitements manuels passifs que d’entamer un changement.

  1. Le déclic du patient ne se fera pas forcément en votre présence

« It make sense », c’est ce que les patients disent de façon spontanée à la fin des consultations auxquelles j’ai assisté durant les workshop de Peter O’Sullivan. Cela m’a semblé si facile en apparence, mais de retour au cabinet il m’a fallu beaucoup de temps avant que ce moment se passe pendant la consultation. 

 Le plus souvent les patients ont une illumination à distance de la consultation, ils vous le témoigneront après : le changement de concept est un processus mystérieux qui peut se faire avec des déclics encore plus étranges.

  1. On ne peut pas parler de tolérance à un tissu anatomique 

L’un des éléments du modèle Bio-Psycho-Social* est le Bio comme biologique.

On peut aider les patients à leur faire prendre conscience de leur capacité bioplastique et du fait qu’il ne sont pas fragiles, mais cela ne signifie pas qu’ils vont accroitre d’un seul coup leur possibilité de mouvement.

C’est facile de comprendre le principe d’action : plus on bouge, plus il est facile de bouger de façon fluide et sécuritaire.

Mais on ne peut pas expliquer ce principe directement aux tissus anatomiques qui empêchent ce mouvement à cause de la douleur.

Cela serait plus facile si on pouvait parler directement de tolérance au tissu anatomique, mais  on s’adresse au patient.

Le but du travail sera de faire comprendre au patient que par la mise en situation progressive (pacing and graded exposure) il pourra  : diminuer sa sensibilisation nerveuse et augmenter la tolérance à la contrainte mécanique.

Pour cela les experts maniant les neurosciences et la prise en charge de la douleur vous donneront des applications pratiques dans différents domaines :

ou allerBen Cormack : Neurosciences et pratique clinique du mouvement

Philip Moulaert : Prise en charge des douleurs neurogéniques aigües et chroniques selon les Neurosciences.

Todd Hargrove : Neurosciences et méthode Feldenkrais

Greg Lehman : Réconciliation Neurosciences et Biomécanique

Eyal Lederman : Réhabilitation Neuro-Musculaire

Peter O’Sullivan : Thérapie Cognitive et Fonctionnelle, le plus complet à mon sens.

  1. Le Modèle Bio-Psycho-Social* est minoritaire dans les médias sociaux

 Pour les attentifs, j’avais dit 10 conseils et c’est le 11ième.

On pourrait penser que les médias sociaux sont inondés de neuroscience de la douleur, pour le plaisir de certains et le malheur des autres. Mais il suffit de regarder la réalité d’internet ou des formations, et c’est la douche froide : le monde actuel biomédical et son enseignement mettent encore en avant uniquement les facteurs biomécaniques et structurels dans la prise en charge de la douleur.

* Un post spécial sera consacré à la douleur et au modèle BPS de la prise en charge de la douleur.

Croyances, Thérapie Manuelle et Neurosciences : Cas Clinique

«  Aussi confiant que nous pouvons l’être de notre pratique clinique, celle-ci est biaisée car nous mettons à jour nos propres filtres d’interprétation grâce à ces mêmes filtres d’interprétation !

( … ) Dans une certaine mesure, nous sommes tous prisonniers de ces cadres de perception qui déterminent la façon dont nous considérons nos expériences. Un cycle d’auto-confirmation se développe souvent, de sorte que, nos hypothèses aveuglément acceptées façonnent les actions cliniques qui servent alors seulement à confirmer la véracité de ces hypothèses. » Brookfield 2000

Depuis les cinquante dernières années, de nombreuses études (Wolf 1959, Sternberg et al 2011, Witt et al 2012, Testa et Rossettini 2016) ont mis en évidence que si un praticien croit au traitement qu’il administre et est convaincu de son résultat, le patient aura des meilleurs résultats (effet Pygmalion), de la même façon si un praticien n’est pas persuadé du traitement proposé alors celui-ci sera moins efficace (effet Golem).

Vue sous cet angle, tous les thérapeutes devraient donc continuer à croire à ce qu’ils sentent, et croire en l’efficacité de leur diagnostic palpatoire et de leur traitement manuel  :

  • Que les kinésithérapeutes continuent de croire que le massage transverse profond diminue les adhérences et défibrose les « nœuds musculaires »  qu’ils croient sentir sous leur mains;
  • Que les chiropracteurs continuent de croire qu’en manipulant les vertèbres qu’ils sentent « déplacées » ils réaligneront la colonne ;
  • Que les ostéopathes continuent de croire que grâce à leur « perception subtile »,  ils peuvent réguler la vitalité (« respiration primaire », « marée » ou encore « souffle de vie » ) de leur patient en leur corrigeant leurs dysfonctions somatiques, viscérales ou crâniennes ;
  • Que les étiopathes/ostéopathes biomécaniciens, continuent de croire que leurs manipulations corrigent la biomécanique de leurs patients;
  • Que les fasciathérapeutes continuent de croire au « relâchement » myo-fascial qui équilibrera la tenségrité globale du corps.

Et pourquoi pas ?

Nos patients vont mieux, c’est donc que nos croyances sur nos traitements sont justes.

Sauf que la corrélation n’implique pas la causalité : voici l’exemple de  l’effet Cigogne

La démographie de la population alsacienne augmente de façon proportionnelle au nombre de cigognes. Il existe donc une corrélation positive entre ces deux évènements.  Mais cela apporte t-il la preuve  à la croyance populaire qui associe les cigognes aux naissances ?

Peut être que la localisation est plus envisageable (la natalité en milieu rurale est plus importante que dans les villes, et les nids de cigognes sont plus nombreux dans les villages que dans les villes), ou bien encore la période (pic de natalité du printemps qui correspondent à la période de migration des cigognes).

Même si ces 2 événements sont corrélés, il n’y a donc pas  forcément de cause à effet.

De la même façon ce n’est pas parce que le patient va mieux que le traitement manuel en est la cause. Il y a plein d’autres facteurs envisageables : l’évolution naturelle du symptôme, ou aussi les processus d’auto-guérisons qui sont sollicités par les attentes et les croyances du patient (Tracey 2010).

Nous ne pouvons donc pas justifier nos croyances à propos de nos traitements uniquement par le résultats de ces derniers.

Même si nos croyances ne l’expliquent pas,  du moment que ce la fonctionne, où est le problème?

Effectivement il n’y a pas de problème tant que cela fonctionne. Mais voyons un cas clinique d’une « descente aux enfers » d’un patient :

A la suite d’un week-end à la campagne, un patient consulte son généraliste pour des douleurs lombaires non spécifiques survenues sans raison apparente. Elles lui font mal quand il se penche en avant et cela l’empêche de mettre ses chaussettes le matin.

Après deux semaines de traitement anti-inflammatoire et antalgique, le médecin prescrit des radiographies. Les radios montrent un « pincement discal », du coup le médecin prescrit une IRM qui montre une petite « hernie discale ».

A la suite de ce diagnostic la douleur du patient augmente fortement et le médecin lui redonne des anti-inflammatoires plus puissants , mais voyant l’inefficacité de ceux-ci, il oriente finalement son patient vers une infiltration sous contrôle radiologique.

Les deux infiltrations ne fonctionnant pas, le radiologue lui indique une bonne adresse de chirurgien.

Mais le patient ne veut pas se faire opérer. Il va donc voir son kiné qui lui dit que sa « sangle abdominale est faible » et qu’il faut la renforcer pour protéger la hernie discale. Le patient renforce sa sangle abdominale pendant 2 mois mais rien ne change.

Il va ensuite voir un chiropracteur qui lui dit que certaines vertèbres ne sont pas bien « alignées »  et que sa colonne et son bassin ont besoin d’être bien « remis en place ». Après quelques manipulations la douleur disparaît complètement pendant quelques jours…et puis la douleur revient et empire.

Sa compagne qui le voit souffrir lui donne l’adresse de son thérapeute shiatsu. Le patient est très sceptique et cartésien, mais après que le thérapeute lui a appuyer sur quelques points douloureux dans les membres inférieurs la douleur disparaît. Le patient se dit que quelqu’un a trouvé la cause de sa douleur et que le « déséquilibre » est enfin réglé. Mais la douleur revient deux semaines après.

Le patient ne désespère pas, il consulte un acupuncteur qui lui « rééquilibre les énergies » en agissant sur ses « méridiens », un ostéopathe ensuite trouve sa « lésion primaire » à l’aide d’une « perception subtile » accessible qu’à certain élus, et en rééquilibrant sa vitalité, c’est le miracle : la douleur s’en va…pendant trois semaines…mais elle revient et devient constante et ce, quelques soient les mouvements et les positions.

Le patient devient de plus en plus frustré, personne ne trouve la cause de sa douleur, et les différents thérapeutes ont des discours complètement antagonistes. Le patient ne comprend plus ce qu’il lui arrive et se demande ce qu’il va devenir avec un dos si fragile (pas aligné, pas assez musclé, des fascia trop tendus, des énergies déséquilibrées et un MRP asynchrone témoignant d’une faible vitalité).

Finalement de peur de se fragiliser encore plus, il arrête le sport, s’empêche de porter ses jeunes enfants, devient anxieux de la moindre activité, désespère et devient aigri car il ne comprend pas pourquoi à son âge il est handicapé à ce point. Il ne comprend pas pourquoi on ne trouve la cause de sa douleur et personne ne peut lui expliquer son problème.

Ce type d’histoire arrive très fréquemment (70% à 80% des français sont confrontés au moins une fois à un symptôme douloureux pouvant être invalidant qui altère la qualité de vie) et nous nous sommes tous plus ou moins retrouvé confronter à ce type de patient au cabinet à un moment de son histoire.

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Dans chacun des cas ci dessus, les thérapeutes suivant leur dogme, croyaient, en ce qu’il ressentaient et ont essayé de corriger les « anomalies » (lésion, hernie, blocage, asymétrie, tension, faiblesse, force vitale…) chez ce patient.

Pourquoi dogme ? Parce que jusqu’à présent, AUCUNE PREUVE SOLIDE n’a mis en évidence l’existence :

et la liste est encore très très  longue :

Le problème de ces croyances, c’est qu’ « elles contredisent l’axiome que le corps est solide, robuste et adaptable » (Greg Lehman) et elles volent au patient sa propre capacité à se soigner tout seul :

  • D’abord en lui faisant croire qu’il est fragile (décalé, déplacé, asymétrique, pas assez souple, peu musclé, trop lordosé, mauvaise posture…) et de nombreuses études montrent qu’elles augmentent la douleur et que ce sont des facteurs de passage à la chronicité. (Wertli et al 2104)
  • Ensuite elles objectifient le patient : le patient devient un corps-objet, qui dysfonctionne, et qui doit être réparé/équilibré, et pour cela il reçoit un traitement passif, et il est dans l’ attente que l’on corrige la cause de sa douleur. Les études montrent que ces soins passifs que nous dispensons, ont tendance à chroniciser la douleur (Kendall et al 1998).

Enfin, ELLES NE  FOURNISSENT AU PATIENT AUCUNE EXPLICATION RATIONNELLE * :

  • qui puisse donner du sens à sa douleur ;
  • qui puisse lui permettre de gérer son problème à l’aide de ses propres options corporelles.

Les neurosciences  ont fait des découvertes révolutionnaires ces 15 dernières années sur la douleur et elles permettent aujourd’hui  :

  • Non seulement d’apporter des réponses au patient sur le mécanisme de sa douleur et de comment il va pouvoir gérer son problème ;
  • Mais aussi, quelques soient nos différentes approches thérapeutiques, elles nous fournissent un discours commun universel (non fondé sur nos croyances respectives), que les patients peuvent comprendre ;
  • Et enfin elles apportent des hypothèses du bien fondé de notre « imposition des mains » dans l’accompagnement du patient à gérer sa problématique.

Malheureusement trop peu de thérapeutes y sont sensibilisé. Et c’est dans cette optique que les prochains post seront dédiés à la la construction tout au long de l’année, d’un petit manuel de « neurophysiologie appliquée à la prise en charge de la douleur » sur les différents post.

Ceci étant si vous souhaitez aller plus loin dans les neurosciences de la douleur un elearning d’une dizaine d’heure de cours est aussi disponible ici en Français

Pour conclure sur les croyances et la thérapie manuelle.

Je suis bien conscient de mes propres filtres de croyance, et quand je pose mes mains sur un patient, j’ai forcément des attentes en fonction de mes connaissances, notamment sur les effets physiologiques attendus. Et j’y crois, sinon les effets seront moindre, mais en aucun cas je n’effectue un geste ou je ne donne une indication au patient :

  • Qui puisse lui faire croire qu’il est fragile;
  • Qui puisse lui faire croire qu’il dépend de mes mains pour guérir ;
  • Qui  risque de lui spolier son autonomie et sa capacité d’autoguérison.

Laurent

* j’entends par rationnelle : qui est conforme à la raison,  qui paraît logique, raisonnable, conforme au bon sens ; qui raisonne avec justesse (autrement que par l’affirmation de dogmes farfelus)

Références

Continuer à lire … « Croyances, Thérapie Manuelle et Neurosciences : Cas Clinique »